Inégalité de traitement, harcèlement moral, précarité: une étude menée par l’UNIGE fait état d’un mal-être au sein du corps intermédiaire. Le rectorat promet des mesures.
Les chercheurs ne voient pas toujours la vie en rose, loin s’en faut. Depuis plusieurs années, des membres de ce qu’on appelle le corps intermédiaire (postdoctorants, assistants, chargés de cours et autres collaborateurs ne disposant pas d’un contrat fixe) déplorent l’instabilité de leur situation professionnelle en Suisse comme à l’étranger.
Une vaste enquête menée au sein de l’Université de Genève (UNIGE) à la demande du rectorat permet pour la première fois de mettre des chiffres sur ce mal-être. Inégalité de traitement, harcèlement moral, précarité: plusieurs indicateurs confirment le phénomène, comme l’a rapporté la RTS
Bas salaires
Durant l’été dernier, un questionnaire a été envoyé aux 3800 collaborateurs de l’UNIGE. Plus de 700 d’entre eux (20%) ont répondu à une version raccourcie du sondage et 542 à la version approfondie. Résultat: un tiers des personnes interrogées expriment un «ressenti de précarité» et la moitié d’entre elles ont peur d’y glisser.
Concrètement: 36% des sondés gagnent moins de 60’000 francs par an. Certains membres (16%) ont besoin d’un autre emploi pour joindre les deux bouts, ce qui les conduit à travailler à un taux dépassant 100%. La tranche d’âge 31-45 ans est la plus concernée.
Harcèlement à l’œuvre
L’enquête met également en lumière d’autres éléments problématiques. Un sentiment «d’inégalité de traitement» est ainsi partagé par 37% des sondés, proportion encore plus importante chez les femmes. Enfin, et c’est «particulièrement grave», note le rapport, 22% du corps intermédiaire dit vivre ou avoir vécu une situation de harcèlement moral et 4% confient avoir été victimes de harcèlement sexuel.
«Les résultats de l’enquête donnent des chiffres plus catastrophiques que ceux auxquels nous nous attendions, notamment sur le harcèlement moral, ce qui ne fait que renforcer notre détermination», réagit le comité de la pétition, Academia, dont le texte qui réclame la création de davantage de postes fixes a recueilli l’an dernier plus de 8500 signatures. Le parlement fédéral devrait aborder le sujet dans le courant de l’année.
Des «points positifs»
La vice-rectrice de l’UNIGE, Brigitte Galliot, est à l’origine du lancement de cette enquête. En premier lieu, elle tient à relever un certain nombre de «points positifs». Les aspects enrichissants du travail universitaire sont reconnus par la quasi-totalité des sondés. Les conditions logistiques sont largement saluées. Et deux tiers des membres du corps intermédiaire disent avoir confiance en leur hiérarchie. «Les gens sont très contents du travail qu’ils font», souligne-t-elle. D’où ce paradoxe: en dépit du mal-être diffus, plus de la moitié d’entre eux souhaitent faire carrière dans le monde académique.
Pour la vice-rectrice, la problématique du harcèlement moral constitue «le point le plus alarmant». «Même si les résultats ont besoin d’être caractérisés plus en finesse, c’est inquiétant. Et 3,4% se disent victimes de harcèlement sexuel. Cela représente beaucoup trop de personnes», regrette Brigitte Galliot. Elle observe que les situations sont souvent connues de l’entourage, comme en atteste le nombre de personnes confiant avoir été témoins (13%). Un constat qui démontre que la «Cellule confiance» mise sur pied par l’UNIGE «est trop mal connue».
Projet professionnel
Une meilleure prise en charge des «risques psychosociaux» constitue l’un des quatre piliers d’un plan d’action en cours d’élaboration. Les trois autres sont les suivants: suivi des indicateurs (l’enquête pourrait être répétée tous les deux ans), aide aux chercheurs dans la planification de leur carrière et clarification du cadre contractuel afin de mettre un terme aux iniquités. «La situation est très complexe: trop de contrats différents, des charges d’enseignement et des temps dédiés à la recherche qui varient sensiblement d’une faculté à l’autre. Il faut proposer deux ou trois types de contrats maximum pour le doctorat pour éviter cette hétérogénéité.»
Enfin, l’idée que certains poursuivent leur carrière hors du giron universitaire n’est plus taboue. Tout le monde ne peut pas devenir professeur. Brigitte Galliot le dit avec d’autres mots: «Il faut que l’Université aide ceux et celles qui ne pourront obtenir un poste académique stable, par l’intermédiaire de formations continues par exemple. Le parcours académique doit aussi être mieux valorisé hors du monde universitaire», insiste-t-elle.
Le plan d’action devrait être entériné par le rectorat au cours du printemps. «L’ensemble des mesures nécessite un budget huit fois supérieur à ce qu’on a actuellement», prévient la vice-rectrice. Dès lors, toutes ne pourront pas être instaurées directement.
Théo Allegrezza est journaliste à la rubrique Genève. Il couvre en particulier l’actualité politique de la ville de Genève. Auparavant, il a été correspondant freelance au Tessin. Diplômé de Sciences Po Paris.