Article paru dans Le Temps, 28.5.2021.
Contrats à durée limitée à répétition, dépendance vis-à-vis des professeurs: les postdoctorants souffrent de leur situation professionnelle. Une pétition demande un débat sur la refonte du financement de ces scientifiques, coincés entre les études et le professorat.
Par Fabien Goubet
Le doctorat en poche, la carrière d’un scientifique peut véritablement démarrer. Et avec elle, les problèmes, au premier rang desquels la précarité de l’emploi. Contrats à durée déterminée à répétition, souvent à temps partiel, bas salaires, statuts administratifs flous, dépendance vis-à-vis des professeurs… les jeunes chercheurs doivent consentir à de nombreux sacrifices sur les plans professionnel et privé. Sans jamais avoir la garantie de pouvoir mettre un pied sûr à l’université, encore moins d’atteindre le statut convoité de professeur. Une pétition circule, appelant à améliorer la condition de ces indispensables petites mains de la science.
Lionel* en a lourd sur le cœur. Déjà prolongé une fois, le CDD de ce postdoctorant (postdoc) s’achève en juin après trois ans de recherches dans une université suisse, «une course contre la montre pendant laquelle il faut être très productif, publier beaucoup, dans de bons journaux». Il visait un financement Ambizione du Fonds national suisse (FNS), 800 000 francs sur quatre ans qui lui auraient permis de réaliser et diriger un projet planifié de manière autonome, en embauchant une petite équipe, tel un apprenti professeur. Ce devait être la suite logique de son parcours professionnel. Las, son dossier a été refusé.
Comme de nombreux postdocs, le malheureux candidat se retrouve donc en fin de contrat sans plan précis pour la suite. «Mon directeur s’est arrangé pour prolonger mon postdoctorat pour trois ans», détaille Lionel, une solution qui lui évite de partir à l’étranger, voire de quitter le monde académique, mais qui reste un pis-aller. Trentenaire, par ailleurs titulaire d’un diplôme de médecine, il doit se contenter d’un poste d’exécutant junior et attendre avant de passer le plafond de verre. «On accepte beaucoup de sacrifices», conclut-il.
Des sacrifices qui ne paient pas toujours
Autre postdoc, autres problèmes. Kiki* est partie pour cinq ans à l’étranger: trois ans effectués en Europe, avant de signer pour deux ans dans d’autres pays grâce à une bourse Postdoc. Mobility, subside du FNS qui suppose d’aller travailler à l’étranger. Cette mobilité est bien sûr un atout pour la carrière académique, mais aussi un frein pour les projets de vie. Avoir un enfant conduit souvent l’autre parent à mettre sa carrière entre parenthèses. «Beaucoup de chercheuses repoussent leur projet de maternité et finissent par abandonner», affirme-t-elle. Autre difficulté, son statut de postdoc internationale complique la donne pour faire valoir ses droits en Suisse. «On ne coche aucune case, ni du côté des impôts ni du côté des aides sociales, on ne cotise ni pour la retraite ni pour le chômage, à presque 40 ans.»
Actuellement en Suisse pour cause de pandémie, elle n’a pas trouvé de place en crèche pour sa fille, et compte conserver son adresse suisse lorsqu’elle repartira, afin de ne pas perdre ses avantages liés à la résidence. «Ces facteurs ne sont pas pris en compte dans les calculs du FNS qui, bien qu’encourageant les carrières féminines, n’anticipe pas la multitude de problèmes liés à la mobilité, qui implique des sacrifices et une flexibilité absolue.» Pire, ces compromis ne paient pas toujours, et certains doivent, souvent à contrecœur, quitter le monde de la recherche, ajoute-t-elle. Quant à ce qui l’attend après, c’est le mystère: «On se lance dans le vide, sans savoir ce qui nous attend ensuite.»
Corps intermédiaire
Difficile de tirer des généralités de la situation, qui concerne tout le corps intermédiaire, un ventre mou de 41 000 postes universitaires situé entre la thèse et le statut de professeur, bien plus confortable. «C’est une mosaïque de situations différentes», prévient Laure Piguet, membre de l’Association commune du corps intermédiaire des collaborateur·rice·s de l’enseignement et de la recherche (Accorder), qui représente le corps intermédiaire de l’Université de Genève. Mais les scientifiques pointent tous les contrats courts comme dénominateur commun.
Pourquoi de tels contrats précaires? Pour le comprendre, il faut s’intéresser au financement de la science. Les universités versent les salaires du corps intermédiaire, mais l’argent vient principalement de fonds tiers, soit publics, comme dans le cas des subsides accordés par le FNS, les cantons ou l’Union européenne, soit privés via des entreprises, des fondations ou des mécènes.
Ces bourses peuvent être versées directement aux postdoctorants, ou plus couramment aux professeurs qui montent des projets et utilisent les fonds alloués comme bon leur semble: pour payer du matériel, des déplacements à des congrès ou encore les salaires de leur équipe. Surtout, ces grants courent en général sur des périodes courtes, de un à quatre ans, sur lesquelles s’alignent les contrats. Conséquence directe, près de 80% du personnel scientifique des universités suisses est embauché en contrat à durée déterminée, d’après un rapport de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales citant l’Office fédéral de la statistique.
Equilibre à trouver
Pour faire bouger les lignes, une pétition a été lancée à l’automne par un groupement d’associations universitaires représentant les corps intermédiaires de nombreuses écoles et universités suisses. «Nous voulons que l’Assemblée fédérale débatte d’une refonte du système académique suisse», dit César Jaquier, de l’Association du corps intermédiaire de l’Université de Neuchâtel, qui soutient la démarche.
«Le FNS finance les projets, conformément à sa mission, tandis que les cantons financent surtout les postes universitaires, liés aux besoins de l’enseignement. Et les deux se renvoient la balle. Nous avons besoin d’une réforme permettant d’ouvrir plus de postes stables pour le corps intermédiaire», poursuit-il.
Le Fonds national suisse de la recherche scientifique a déboursé 938 millions de francs en 2020, dont 434 millions pour l’encouragement de projets et 241 millions pour l’encouragement de carrières. Par la voix de sa directrice Angelika Kalt, l’organisation se défend d’être la responsable des maux des jeunes chercheurs.
Au niveau postdoctoral, «180 lauréats sont directement bénéficiaires d’une bourse Ambizione, Eccellenza ou Prima, et le taux de succès se situe entre 14 et 20%», détaille la directrice. Les autres postdocs financés par le FNS sont payés sur les fonds versés aux professeurs pour leurs projets. «L’engagement et le choix du personnel sont laissés à leur libre appréciation mais dans ce cas, il y a des conditions salariales et des règles à respecter pour chaque catégorie de personnel», précise-t-elle.
Mais en finançant des projets de durée limitée, le Fonds ne favorise-t-il pas les CDD? «Il est difficile de faire venir des professeur·e·s ou de commencer des nouvelles directions de recherche en ne gardant qu’un staff fixe. Ils veulent en général recruter d’autres personnes répondant à leurs besoins. Mais il faut veiller à un certain équilibre et ne pas tout raser à chaque projet, sans quoi on perd beaucoup de compétences», répond Angelika Kalt.
Alors que faire? Créer plus de postes, stabiliser ceux existant, augmenter les budgets, revoir les évaluations des chercheur·euse·s, qui contribuent aussi à ce système? «Nous n’avons pas de solution toute faite. C’est pour cette raison que nous voulons porter le débat jusqu’à Berne», conclut Laure Piguet. «C’est indispensable, abonde Angelika Kalt: il faut mettre tous les participants autour de la table, y compris les jeunes.»
* prénoms modifiés