Le Courrier: Inquiétudes au sein des hautes écoles suisses

Alors que les hautes écoles s’alarment des conséquences de la rupture entre la Suisse et l’Union européenne, Emmanuel Déonna pointe également la précarité patente des conditions de travail du corps intermédiaire.

dans Le Courrier, mercredi 7 juillet 2021, Emmanuel Deonna

Dans une récente tribune, les dirigeants des hautes écoles romandes appellent le gouvernement suisse à stabiliser au plus vite les relations avec l’Union européenne pour une association rapide de la Suisse au Programme Horizon Europe (2021-2027)1. Un mois après la rupture abrupte des négociations sur l’accord-cadre, la Suisse a en effet perdu son statut transitoire de pays associé à ce programme. Par conséquent, les chercheuses et chercheurs ne pourront plus coordonner de nombreux projets européens intéressants et prestigieux. «Dans le dernier programme Horizon 2020 (2014-2020), les scientifiques suisses coordonnaient 1185 projets, soit 3,9% de l’ensemble des projets». Les PME suisses, qui participent au programme européen via le développement et la commercialisation des résultats de la recherche, sont également en ligne de mire. «Près de 25% des projets suisses financés dans Horizon 2020 étaient portés par des PME, une part qui s’élève à 36% si on inclut les industries.»

Des études médicales jusqu’aux recherches dans le domaine des politiques sociales, l’importance du travail réalisé au sein des hautes écoles a été largement mise en évidence pendant la pandémie. Les connaissances en sciences médicales, humaines et sociales jouent un rôle clé dans l’analyse des nombreux effets de la Covid-19 ainsi que dans la prévention des nouvelles formes d’inégalités qui peuvent en résulter. Grâce aux informations et analyses qu’elle fournit, la communauté scientifique contribue à défendre les droits et à accompagner les groupes sociaux particulièrement vulnérables, tels que les femmes, les malades, les chômeurs, les sans-abris, les personnes précaires ainsi que les minorités visibles et invisibles.

De nombreux problèmes économiques et sociaux ne sont pas nouveaux. Cependant, ils risquent de s’aggraver en période post-pandémique. Les sciences médicales, humaines et sociales permettent de les éclairer et de proposer des solutions concrètes aux organisations publiques et privées chargées de les affronter. Une exclusion durable du programme Horizon Europe aurait des effets extrêmement délétères.

Cependant, ce scénario n’est pas le seul problème que doivent affronter aujourd’hui les hautes écoles. Le bon fonctionnement de celles-ci est actuellement menacé de différentes manières. La pandémie risque d’accélérer le mouvement vers l’enseignement en ligne. Les restrictions budgétaires et le management technocratique peuvent contribuer à une dégradation des conditions de travail déjà précaires d’une partie du personnel de la recherche et à une pression renouvelée sur des disciplines soi-disant «inutiles» dans les humanités et les sciences sociales.

Munie déjà de plus de 8000 signatures, la pétition adressée au parlement fédéral «Pour la création d’emplois permanents dans le monde académique: de meilleures conditions de recherche, d’enseignement et de travail» exige la création d’un nombre conséquent de postes stables pour les chercheur·euses post-doctoraux. Au bénéfice de contrats à durée déterminée, beaucoup de doctorant·es et post-doctorant·es témoignent en effet des grandes difficultés qu’ils et elles rencontrent dans le cadre de leur travail, où des phénomènes de harcèlement et d’emprise psychologiques sont notamment constatés. Dans son rapport «Next Generation» publié en 2018, l’Académie des sciences humaines et sociales (ASSH) appelait déjà à «convertir les catégories de postes jusqu’à présent à durée déterminée en postes à durée indéterminée et réduire les ressources destinées aux projets de recherche en faveur d’un financement de base des hautes écoles accru».

Garantir la stabilité de ces postes et leur financement dans la durée est une nécessité urgente.

Notes

1.«Recherche européenne: l’appel des hautes écoles romandes adressé au Conseil fédéral», opinion parue dans Le Temps du 29 juin 2021.

Emmanuel Déonna est député au Grand Conseil genevois, membre de la Commission interparlementaire de contrôle HES-SO, PS.

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